Le 3 novembre 2021, le CAC40 franchissait la barre symbolique des 6950 points, dépassant ainsi le plus haut niveau jamais atteint par l’indice parisien depuis sa création en 1988. 

Il n’en fallait pas davantage pour que commentateurs et experts de la sphère financière se gargarisent de la bonne santé économique de la maison France et renouvellent leurs appels au bon sens populaire en enjoignant les épargnants à investir en bourse pour profiter de la curée. 

Et c’est vrai qu’on peut être tenté de croire que la bourse est plus que jamais le marché de référence où placer ses économies pour contrer l’inflation grandissante et faire fructifier son capital.

Sauf que tout cela est trompeur.

Le niveau du CAC40 est arbitraire

Sans vouloir être provocateur (ou alors un tout petit peu), il faut bien reconnaître que la valeur du CAC40 ne correspond pas à grand chose de concret. Rappelons tout de même que l’indice a été créé en 1988 (juste après le krach de 1987) avec une valeur de départ totalement arbitraire de 1000 points. 

Pourquoi 1000 points ? 

Pourquoi pas. 

Depuis lors, cette valeur a évolué au gré de fluctuations qu’on s’est efforcé de garder au plus près de l’évolution des marchés. Mais la réalité c’est que la valeur du CAC40 ne reflète pas vraiment la santé financière de l’économie française ; elle est plutôt issue d’un calcul relativement complexe.

Ainsi, le nombre de points de l’indice parisien dépend non seulement de la valorisation des sociétés qui le composent, mais aussi d’un certain nombre de facteurs d’ajustement et de critères de pondération déterminés par le Conseil scientifique des indices (conseil d’experts chargés de fixer trimestriellement la composition du CAC40), dont les membres peuvent décider l’application ou non en disposant d’une certaine marge d’appréciation. En clair, sans être totalement une estimation au doigt mouillé, on reste tout de même dans le domaine de l’approximation consensuelle.

Les performances du CAC40 ne sont pas exceptionnelles

Malgré ses récents records, l’indice parisien ne montre pas une progression aussi spectaculaire qu’on voudrait bien le laisser croire. D’ailleurs, si tout le petit monde de la finance s’est auto-congratulé au début du mois de novembre 2021 en voyant le CAC40 retrouver ses niveaux de septembre 2000, il ne faut pas oublier que ça signifie aussi tout simplement qu’en plus de deux décennies, le CAC40 a juste gagné… 0%. En d’autres termes, un épargnant qui aurait acheté l’indice le 4 septembre 2000 à 6922 points aurait enfin pu rentrer dans ses frais après 21 ans et 2 mois d’attente.

Mais ne boudons pas notre plaisir, et prenons les 7000 points que l’indice nous offre à l’heure de la rédaction du présent article. En le rapportant au niveau du CAC à sa création, on constate donc une belle progression de 600% en 33 ans. On pourrait s’en féliciter. Mais là encore, si on reste objectif, cela correspond plus ou moins au résultat d’un placement à intérêts composés à 6% par an. Et si on tient compte de l’inflation, le rendement est encore moins flamboyant. N’oublions pas qu’à la fin des années 80 et surtout au tout début des années 90 (pour rester dans les placements à long terme), on pouvait par exemple souscrire à des contrats d’assurance-vie délivrant 7,5 à 8% par an. Lesquels constituent aujourd’hui de vrais trésors pour ceux qui les détiennent encore.

Enfin, notons également qu’un récent rapport portant sur le « rendement » réel de l’or sur les 50 dernières années montre une progression annuelle moyenne supérieure à 8% pour le métal précieux. 

Le CAC40 ne représente que les meilleurs élèves

En fait, le CAC40 évolue surtout en fonction du comportement des valeurs qui le composent, en l’occurrence celles des 40 plus grosses sociétés cotées à la Bourse de Paris (sur un total de plusieurs centaines). Non seulement la bonne ou mauvaise santé de ces entreprises ne saurait préjuger de la vigueur de la totalité des autres valeurs cotées à Paris, mais la composition elle-même du CAC40 peut varier en fonction des résultats de ces 40 majors.

En effet, on l’a dit, seules les meilleures sociétés cotées se voient offrir une place au sein du prestigieux indice ; et celles dont les résultats s’avèrent insuffisants en sont tout simplement écartées au profit d’autres plus performantes qui n’attendent que cela pour briller enfin à leur tour (même si c’est parfois de manière très fugitive).

Ainsi, seules 19 valeurs du CAC40 actuel sont présentes depuis 1988, tandis que les places restantes ont été occupées de manière plus ou moins durable par plus d’une soixantaine d’autres entreprises. Certaines années ont vu le remplacement de 7 ou 8 sociétés au sein de l’indice parisien, qui ont pu représenter jusqu’à 30% de sa valeur. Autant dire qu’on a fait mieux en termes de stabilité.

En clair, le CAC40 n’est pas un reflet de l’état de la Bourse, mais juste de ses meilleurs élèves qui constituent une (petite) minorité relativement fluctuante. Vouloir inciter les épargnants à investir sur les actions cotées en prenant les performances des meilleures comme seules références, c’est comme vanter la rentabilité du Loto en montrant la seule réussite des gagnants.

Le CAC40 ne représente pas l’économie française

Enfin, certains prosélytes de l’investissement boursier mettent en avant le côté « patriotique » de l’opération. Acheter des actions françaises, cela reviendrait à soutenir directement l’économie du pays, montrer la confiance que l’on a dans le potentiel industriel et commercial de la nation, croire en un avenir radieux de richesse et de prospérité qui profiterait au final à toute la population dont le regard baigné de félicité pourrait enfin se tourner vers des lendemains qui chantent.

Mais en fait, non.

Certes, la valorisation totale des sociétés cotées au CAC40 représente plus ou moins 75% du PIB français (environ 2200 milliards d’euros) mais seuls 30% de leur chiffre d’affaires est réalisé en France. En réalité, l’essentiel de la progression de ces entreprises s’effectue à l’étranger, et pour moitié au moins en Chine, en Inde et au Brésil. Pourquoi ? Tout simplement parce que ce sont les pays qui, aujourd’hui, affichent les plus forts taux de croissance, ce qui attire énormément les capitaux des pays comme la France qui n’ont plus beaucoup de marge de progression sur leur propre marché intérieur.

Disons-le clairement, si le luxe, la technologie ou encore le savoir-faire pétrochimique français se vendent bien, c’est principalement à l’étranger. Et c’est cela qui fait grimper l’indice parisien. Rien à voir avec une éventuelle bonne santé économique du marché français.

Les variations globales du CAC40 ne doivent pas guider l’investissement spécifique

Pour conclure, qu’il soit au plus haut ou au plus bas, le CAC40 n’est rien de plus qu’un indice dont la portée reste limitée et qui ne peut, au mieux, que refléter l’état de santé général des fleurons de l’économie française. Il ne peut même pas donner réellement d’information sur la pertinence d’un investissement en bourse, y compris concernant les 40 meilleures valeurs de la place parisienne puisqu’une progression positive globale du CAC peut en réalité masquer une très grande disparité de performances entre les sociétés qui composent l’indice. 

Que l’Oréal et LVMH – qui représentent à elles-seules près de 25% de l’indice – gagnent quelques dizaines de points sur le marché et c’est le CAC40 tout entier qui s’envole, même si Unibail, Atos, Renault, Publicis, Alstom, Veolia, Société générale, Bouygues, Carrefour, Worldline, ArcelorMittal, Thales, Stellantis, Teleperformance, Michelin, Capgemini, Legrand, Saint-Gobain ou Crédit agricole (soit la moitié des valeurs du CAC, mais qui ne représentent que 15% de la valeur de l’indice) sont en difficulté au même moment. 

Or, un épargnant peu avisé pourra être tenté d’investir sur les sociétés précitées – dont certaines font partie de son quotidien – juste parce qu’elles sont cotées au CAC40 et que l’augmentation de l’indice lui donnera l’impression que toutes les valeurs qui le composent se portent bien.

Par conséquent, avant d’investir en bourse, et même s’il s’agit d’un placement tout à fait cohérent dans une démarche de diversification, il convient de rester prudent et de ne pas se laisser distraire par des mirages adroitement exposés, des illusions qui tendraient à faire croire qu’on oeuvre pour son propre intérêt en contribuant à la croissance des sociétés cotées. Dans le meilleur des cas, on aura surtout l’occasion de favoriser de nouveaux investissements à l’étranger et d’augmenter la masse de dividendes reversés aux actionnaires. Dividendes qui n’apparaissent d’ailleurs pas dans le calcul de l’indice, à l’inverse de ce qui se passe dans d’autres pays, comme par exemple en Allemagne avec le DAX

Dans le pire des cas, on aura sans doute perdu du temps et de l’argent qu’on aurait mieux fait de placer dans des valeurs refuges comme l’immobilier ou les métaux précieux, seuls véritables remparts contre l’inflation.