Indispensables à l’équilibre monétaire comme à la stabilité financière des États, les banques centrales semblent être devenues, surtout depuis 2008 et la crise des subprimes, les garantes de la survie-même de l’économie mondiale. Réelle ou exagérée, cette importance fait qu’aujourd’hui, pas un jour ne se passe sans qu’on n’entende parler de l’action de ces institutions, y compris dans les médias les moins spécialisés. Mais que sont réellement ces banques centrales dont les décisions vont jusqu’à s’imposer aux États eux-mêmes ?

Qu’est-ce qu’une banque centrale comme la BCE ou la FED ?

Concrètement, une banque centrale est un organisme chargé par un État, ou un groupe d’États, de gérer sa monnaie. Cela implique non seulement qu’elle en garantisse la légitimité mais qu’elle en contrôle également l’émission, la distribution et la stabilité, que ce soit à l’intérieur comme à l’extérieur des frontières du ou des États concernés. Une banque centrale est donc un élément essentiel au bon fonctionnement des institutions, mais, au-delà de cette définition qui ressemble beaucoup à celles que l’on peut trouver sur la plupart des sites de banques centrales, on n’a pas dit grand-chose. Essayons alors de répondre à d’autres questions un peu plus précises pour mieux cerner la nature et les objectifs de ces établissements d’un genre particulier.

Quel est le rôle d’une banque centrale ?

Une question qui peut paraître évidente mais à laquelle il n’est pourtant pas aussi simple de répondre. Certes, on l’a dit plus haut, une banque centrale est chargée de la politique monétaire d’un ou plusieurs États, mais ses attributions ainsi que les moyens dont elle dispose pour accomplir sa mission varient d’une banque à l’autre, principalement en fonction de son histoire mais aussi de ses liens avec le ou les États dont elle contrôle la monnaie. Par exemple, en dehors de sa responsabilité monétaire proprement dite, le mandat de la Banque Centrale Européenne (BCE) lui donne comme priorité de maîtriser l’inflation et surtout d’assurer la stabilité des prix de toute la Zone Euro, en utilisant plus particulièrement le levier des taux d’intérêt afin d’agir sur l’offre et la demande de financement. La Réserve Fédérale Américaine (Fed), quant à elle, a aussi pour mission de favoriser le plein emploi en soutenant la croissance. C’est la raison pour laquelle l’annonce des chiffres mensuels de l’emploi aux États-Unis revêt une telle importance pour les marchés financiers américains, au point d’influer directement sur le niveau des principaux indices boursier de Wall Street. Un marché de l’emploi vacillant est vu comme le reflet d’une action insuffisante de la Fed, et donc d’une faiblesse de la politique monétaire.

La BCE ou la FED fabriquent-elles la monnaie ?

En réalité non, les banques centrales ne créent pas de monnaie proprement dite. À l’inverse de ce qui se passait autrefois, lorsque l’institution financière centrale (le « Trésor ») émettait de la monnaie essentiellement sous forme de pièces, et plus tard de billets, en fonction de la richesse disponible dans les caisses de l’État, le système monétaire actuel repose désormais sur le principe de la monétisation des créances. Autrement dit, ce sont les banques commerciales qui créent de la monnaie à chaque fois qu’elles accordent un prêt à un client. Cette monnaie, dite scripturale car n’existant que sous la forme de « lignes de crédit », est exactement la même que celle dont nous disposons sur nos livrets d’épargne, nos comptes courants ou nos placements financiers. C’est la monnaie que nous utilisons tous les jours lorsque nous réglons nos achats par carte bancaire, lorsque nous payons nos factures par virement ou prélèvement et que nous recevons aujourd’hui en guise de salaires, d’allocations, de remboursements de santé, etc.

Toutefois, la banque centrale crée également de la monnaie dite monnaie centrale qui sert aux échanges entre les banques commerciales et nationales, lesquelles disposent toutes de comptes auprès de la banque centrale. Mais cette monnaie ne participe pas aux échanges de l’économie réelle, elle sert uniquement à la régulation du système et d’unité de compensation entre les banques.

Enfin, la banque centrale conserve généralement le pouvoir d’émission de monnaie fiduciaire, c’est-à-dire la production de pièces et de billets. Pour beaucoup de gens, c’est encore la représentation la plus concrète et la plus importante de la souveraineté monétaire, mais dans les faits, cette monnaie physique, sonnante et trébuchante, ne représente que 5 à 15% de la masse monétaire totale en circulation (variable suivant les pays). Cette proportion tend d’ailleurs à baisser d’année en année, reculant devant la dématérialisation générale des paiements. À noter tout de même que, dans le cas de la Zone Euro, l’essentiel des billets en circulation et la totalité des pièces sont fabriqués par les banques centrales nationales (en France, la Banque de France), sous le contrôle bien évidemment de la BCE qui reste seule décisionnaire des volumes émis pour éviter toute forme d’inflation monétaire. Le choix de laisser les États fabriquer les pièces et les billets répond également à une stratégie d’apaisement social car, en dépit de leur faible valeur économique comparée à l’ensemble des actifs monétaires en circulation, leur valeur symbolique, pour ne pas dire sentimentale, reste très forte dans l’imaginaire collectif.

Qu’est-ce que la « planche à billets » ?

Puisqu’on sait qu’elle ne crée pas de monnaie, pourquoi dit-on alors parfois d’une banque centrale qu’elle fait tourner la « planche à billets » ?

L’une des missions d’une banque centrale est de financer la politique économique des États. Dès lors, il a pu arriver que certains pays un peu dépensiers excèdent leurs capacités de financement, notamment en matière de fonctionnement de l’État, de dépenses militaires ou encore de politique sociale un brin populistes. Dès lors, les banques centrales de ces pays ont été appelées à financer ces déficits publics, notamment en accordant une avance au Trésor public par l’intermédiaire d’un crédit accordé à l’État. Un peu comme si elles leur prêtaient une somme d’argent sous forme de billets de banque, et c’est d’ailleurs ce qui est arrivé en 1923 en Allemagne, sous la République de Weimar.

L’ennui c’est que cette générosité s’accompagne souvent d’un sentiment d’impunité budgétaire de la part des gouvernements impécunieux et que ceux-ci considèrent qu’ils ont carte blanche pour continuer leur politique laxiste. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’État se retrouve alors dans la même situation lorsque vient le moment de rembourser son crédit. Et la banque centrale peut être contrainte d’accorder un nouvel emprunt afin de payer le précédent et de couvrir les dépenses à venir. On comprend aisément comment ce genre de situation peut vite dégénérer, entraînant une inflation incontrôlable et une dépréciation de la monnaie.

Qu’est-ce que le Quantitative Easing ou QE ?

C’est d’ailleurs pour cela que cette pratique est interdite dans la zone Euro. Néanmoins, la BCE dispose d’un instrument un peu différent dont les effets sont relativement identiques du point de vue des États. Et c’est la raison pour laquelle on le confond souvent avec la fameuse planche à billets ».

Il s’agit du programme d’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing (QE), lequel consiste pour la banque centrale à acheter des obligations émises par l’État pour financer sa dette publique. Elle peut le faire, soit directement dès leur émission (c’est le cas de la Fed aux États-Unis ou de la Banque d’Angleterre par exemple), soit indirectement en s’adressant aux investisseurs institutionnels (banques, assurance, fonds de pension…) qui les ont acquises et qui les revendent sur un marché secondaire.

C’est ce que fait la BCE et, au final, les États de la zone euro bénéficient ainsi d’une forte garantie de voir leurs titres achetés, et donc de pouvoir financer leur politique économique, sans pour autant faire gonfler la masse monétaire en circulation puisque l’argent reste dans le circuit des marchés financiers.

Comment les banques centrales contrôlent-elles la monnaie ?

En schématisant un peu, les banques centrales agissent sur la quantité de monnaie en circulation en augmentant ou en réduisant la pression financière sur les banques commerciales.

On l’a vu, la monnaie est essentiellement scripturale, pour ne pas dire virtuelle. Elle est créée par les banques en fonction de la demande de financement des agents économiques. Plus le nombre de crédits augmente et plus la quantité de monnaie aussi. Mais cette monnaie ne peut pas non plus être créée sans limite par les banques commerciales, tout simplement parce qu’elles l’obtiennent auprès de la banque centrale moyennant un taux d’intérêt qu’elles doivent lui payer. Et c’est justement ce taux d’intérêt qui constitue le principal instrument par lequel une banque centrale va pouvoir réguler la quantité de monnaie en circulation.

En effet, si la banque centrale augmente le taux auquel les banques commerciales peuvent lui emprunter de l’argent, alors ces dernières vont être obligées de répercuter cette augmentation sur les crédits qu’elles-mêmes accordent aux particuliers et aux entreprises. Ce faisant, en appliquant également des limites au poids de l’endettement des agents économiques par rapport à leurs revenus, les candidats à l’emprunt seront moins nombreux à remplir les conditions pour bénéficier d’un prêt. Le nombre de crédits acceptés et les sommes prêtées vont donc diminuer, réduisant du même coup la quantité de monnaie créée à cette occasion.

À l’inverse, une baisse de ce taux directeur de la banque centrale, et donc une baisse du coût de l’argent, va permettre aux banques commerciales de réduire le taux des crédits et donc d’attirer davantage d’emprunteurs, augmentant du même coup la quantité de monnaie créée.

D’autres mécanismes plus subtils, ainsi que d’autres taux comme le taux des dépôts par exemple, entrent également en jeu dans la régulation de la masse monétaire, mais dans l’ensemble, le principe reste le même : amener les banques à adapter elles-mêmes leur contribution au financement de l’économie pour rester rentables.

Les banques centrales ont-elles privé les États de leur souveraineté économique ?

À la lecture de ce qui précède, on peut alors légitimement s’interroger sur la souveraineté économique des États, et se demander si, finalement, les banques centrales ne s’en sont pas emparé. Cette question soulève des passions depuis des décennies, et son importance a été encore renforcée en France avec la naissance de l’union monétaire européenne ainsi que la création de la Banque Centrale Européenne. En effet, celle-ci a non seulement récupéré le pouvoir régalien de « frapper monnaie », mais est en outre venue se placer au-dessus de l’État en sa qualité d’institution communautaire qui ne dépend plus d’aucun gouvernement.

Et c’est vrai que la construction monétaire européenne a largement contribué à priver les États membres d’un instrument d’ajustement important, puisque toute politique monétaire nationale est désormais impossible, et que la politique budgétaire est strictement encadrée par le pacte de stabilité européen, qui limite entre autres les déficits publics. Par exemple, on ne peut plus utiliser la dévaluation monétaire pour rester compétitif au niveau international.

Mais plus encore, la BCE profite d’une situation exceptionnelle avec, d’un côté 19 États qui, en raison de leur incapacité à définir une politique commune, ne parviennent pas à lui imposer quoi que ce soit, et d’un autre côté des autorités communautaires dotées de trop peu de pouvoirs pour avoir les moyens d’influer sur ses décisions.

La BCE et la FED sont-elles indépendantes ?

Dans le cas de la BCE, c’est ce principe même d’indépendance qui est aujourd’hui critiqué, car si une monnaie unique forte nécessitait effectivement un organe de régulation totalement autonome et investi d’une mission supranationale, on s’est vite rendu compte que les particularités des économies et des politiques de chaque État membre ne s’accordaient pas toujours avec les impératifs fixés à l’échelle du continent.

D’un autre côté, beaucoup pensent aujourd’hui que l’euro n’est rien de plus qu’un Deutsche Mark revisité dont la force pénalise plus qu’elle n’avantage la plupart des économies nationales incapables de rivaliser avec l’appareil productif allemand. D’ailleurs, si le siège de La Banque centrale européenne est à Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, ce n’est sans doute pas un hasard non plus.

À l’inverse, d’autres pays comme les États-Unis ou le Japon ont encore un certain pouvoir sur leur banque centrale, notamment par le biais de la nomination des membres du bureau des gouverneurs, y compris le président et le vice-président, ainsi que des hauts fonctionnaires dont ils fixent le salaire. L’indépendance de ces banques centrales est donc plus ou moins contrôlée par leur gouvernement respectif et leur action découle plus ou moins directement des choix politiques pris au sommet de l’État. Selon de nombreux experts, c’est ce qui explique la grande « souplesse » de l’économie américaine par exemple, en même temps que la faible capacité de croissance de la zone euro dont la politique monétaire contraignante est principalement calquée sur le modèle allemand. Modèle dont on a vu d’ailleurs récemment qu’il ne résistait pas à une forte crise systémique, justement en raison de sa trop grande austérité en matière de financement public.